mercredi 13 février 2013

Une date, une mort.



C'est à tes cotés que j'ai envie de me poser, c'est prêt de toi que je voudrais venir murmurer des mots. Ces mots qui sont en moi, ces mots d'une enfant à sa Maman. Ces mots que je murmure doucement dans le silence, ces mots qui volent sur l'océan, qui roulent dans les vagues, qui avancent comme le souffle du vent.
Ces mots dans le vide, dans ce vide que tu as laissé en décidant de partir.

Dix ans aujourd'hui, une éternité, dix ans ma petite maman que le son de ta voix ne résonne plus à mes côtés.
Comme tu me manques, je te voudrais là tout prêt, je te voudrais à moi juste un instant.
13 février 2013 l'écrire pour y croire, tout ce que je suis aujourd'hui, tout ce que j'ai construit est loin de toi. Se construire sans toi, se construire avec tes valeurs, avec ce qui a guidé celle que je suis.
Ces femmes de notre famille qui sont là pour pousser les nôtres vers l'avant sans cesse.

Il y a 10 ans là maintenant, je basculais dans l'horreur, papa venait de découvrir ton corps sans vie, ce corps que tu as essayé de détruire par le feu.
Cet instant précis où je venais de te perdre à jamais.
"Maman est morte" ces mots hurlent encore en moi, la voix de mon Papa brisé par la douleur, par le choc, ces mots qu'on ne veut pas entendre, mais qui sont là gravés instantanément en moi.
Cette journée du 13 février qui ne sera plus jamais une journée banale.
La voix de mon frère qui décroche le téléphone, à qui je vais prononcer les mots ces mots qui vont le briser.. "maman c'est tué, maman est morte".... ce blanc , je mesure alors le choc, je sais ce qui se passe au plus profond de lui.. sa douleur que je prends, que j'écoute..
J'enchaine, ma soeur je dois réussir à la joindre, le gendarme  m'aide, je n'arrive pas à trouver le numéro dans l'annuaire, j'y suis enfin, je compose le numéro en tremblant, je vois Papa qui cherche un mot, une raison, une explication. Je vois son visage brisé, je vois son corps vouté par la douleur.
Elle décroche avec une voix toute douce, j'ai du mal à parler chaque mot est hachuré par la douleur, par ce choc.
  " L" maman est morte, elle c'est tué. Suicide je n'arrive pas à le dire, elle pousse un cri sa douleur est violente dans mes oreilles, j'arrive à imaginer son corps son visage brisé, elle me demande comment?
Immolée ma tète refuse ce mot, je lui dis" brûlée".. je prononce pour la première fois ce mot.
J'ai cette image, cette fumée dans tout le sous-sol, cette odeur qui est inscrite en moi, c'est l'odeur de ma maman qui est partie.
Ma soeur pleure, gémit je lui fais prometre de venir en roulant doucement.

Le maire du village arrive, la gendarmerie la prévenu, le curé est présent aussi, il est allé bénir Maman, lui donner le dernier sacrement, je comprends tout ce qui se passe, mais je n'arrive pas à analyser les choses.
Je suis comme dans un autre monde.
Je prends Papa dans mes bras, je lui dis qu'elle n'a rien laissé, aucun mot, qu'il doit arrêter de chercher, il y a une sorte de colère en lui mêlée à un immense desespoir.

Je préviens les membres de la famille, la soeur de maman, sa belle-soeur. Que c'est difficile de recevoir la douleur des autres.

Je voudrais voir le corps de ma Maman, les gendarmes refusent, on doit attendre la gendarmerie scientifique, on m'explique qu'une enquête pour homicide est ouverte automatiquement dans ce type de cas. On nous pose des questions, on prend des photos de la maison.
Nous n'avons plus accès au sous-sol.
Le médecin de famille arrive, il doit proceder à l'identification. Il revient avec des gants "sales"il passe devant moi, jete les gants à la poubelle, j'observe je suis choquée, il repasse pour aller remplir son certificat et me lance:
"J'ai demandé une autopsie, je préfère prevenir".
A ce moment là j'ai pris une immense claque, j'ai pris ces mots là comme si on allait tuer une deuxième fois ma Maman. je me souviens m'être écroulée au sol, personne n'avait le droit de découper ma Maman. Cette vision m'était insuportable.


10 ans c'était il y a 10 ans , c'était et ça restera comme si c'était hier. Maman tu m'as donné la vie, tu as malgré ta maladie essayé à chaque instant de nous donner le maximum. Accepter ton départ c'est reconnaitre ton immense douleur. Accepter ton départ c'est te laisser partir, enfin libre.
Ton chemin a été un grand combat contre ton mal, contre ce que la guerre t'a volé, LA LIBERTE..
Tu as retrouvé la liberté à travers la mort.
Tu m'as dit de revenir à la vie alors que j'étais là tout prèt de toi.J'ai entendu ta voix , tu m'as hurlé NON. J'étais pourtant si bien, tout était si beau, si doux.

Je t'aime Maman, et comme l'a inscrit Papa sur ta tombe:

"REPOSE EN PAIX"
    
  

lundi 4 février 2013

Emprisonnée.



Un  jour, ici, j'ai écrit que je voudrais être couchée dans de hautes herbes, je voudrais être dans une prairie baignée de lumière et sentir le vent caresser mon visage. Fermer les yeux, respirer, sentir cette chaleur, cette quiétude envahir mon corps, ma tète. Ne plus songer à rien, ne plus sentir ce corps qui a mal.

Ce corps, mon corps, celui dans lequel je suis enfermée. Enfermée à perpétuité. Ce corps qui me freine, qui est là à chaque instant de ma vie pour m'empêcher de rebondir comme je le souhaite.
J'ai pourtant besoin de rebondir, j'ai besoin de construire mes filles, de les mettre sur la route de la Vie.
Il y a ma tète et mon corps, il y a ce que je voudrais faire confronté inlassablement  à ce que je suis en mesure de faire.
Ce corps, cette prison faite de souffrances, cette prison où le répit n'existe pas, cette fatigue qui certain jour me fait douter de tout, fatigue physique et fatigue morale.

Être enfermée dans ce corps, c'est ressentir les limites, c'est être en guerre contre soi, c'est vouloir s'échapper de cette enveloppe de brûlures, de coups de poignards.
 Taire ses maux!  Les mots ne servent à rien, ils n'aident pas.
Être chahutée sans cesse par les difficultés de la vie, faire face encore et encore pour lui pour elles..
S'accrocher à ceux qu'on aime pour tenir le cap.
S'accrocher à ceux qu'on aime lorsque ce corps vous brise en deux, lorsque l'air vient à manquer lorsque la douleur est bien plus forte que toute la volonté qu'on peut avoir.

Ce matin c'est difficile, je me suis réveillée en sachant de quoi sera faite ma journée, un combat de plus, une journée de plus. Je me suis levée tôt très tôt pour permettre à ma douleur de baisser un peu, d'avoir le temps de la laisser s'estomper avant de m'occuper des filles. Calée dans le canapé, entourée de coussins, un gilet sur moi, une veste sur mes jambes, je frissonnais. Ma peau hurlait déjà stop, ces brûlures qui me dévorent, cette hypersensibilité mélangée à une sensation d'engourdissement des hanches.
Me voilà assise là à attendre, à respirer calmement, à me dire que ça va aller, qu'il me faut attendre, attendre que ça passe. J'essaye d'organiser ma journée, c'est toujours pareil, qu'y a-t-il à faire d'urgent? Si je dois faire le ménage, qu'est ce qui pourra attendre? Combien de fois je vais devoir prendre la voiture? Faut-il que je porte des choses? Calculer chaque geste pour tenir jusqu'à ce soir.
Et déjà anticiper le lendemain. Toute ma journée est une succession de calculs, de réflexions.

Prendre la voiture, c'est pour commencer, enfiler des chaussures, donc se baisser tirer sur le cuir pour y faire entrer le pied, se redresser et recommencer l'opération pour  la deuxième. Ensuite c'est monter dans la voiture, se mettre bien dans l'axe du siège, soulever et plier sa jambe, faire glisser les fesses sur le siège et effectuer un léger mouvement vers l'arrière pour bien caler le dos. Ce petit mouvement qui va faire hurler mon corps. Faire ensuite un mouvement vers la gauche pour attraper la ceinture, tirer celle-ci vers la droite pour aller la fixer. La je prends des décharges dans le coté droit.
Le frein à main !! alors là on touche le pompon. Attraper la poignet, soulever et enfoncer le bouton.. C'est presque un supplice..
Me voilà parée pour partir !!!
C'est incroyable comment chaque petite chose de la vie peut devenir un enfer, toutes ces choses qu'on fait sans se rendre compte "normalement" et qu'on se prend en plein visage lorsque le corps ne veut plus, ne peut plus.
La c'est un petit exemple de mon quotidien, de ma journée. Lorsque je relis ce dernier paragraphe je trouve ma vie pathétique. En être résignée à analyser les détails de ma vie pour tenir.
Et puis à coté de tous ces calculs il y a le paraître, le "faire comme ci" les problèmes à gérer.
Les R-D-V pôle emploi, où je dois montrer une extrême motivation alors que malgré toute ma bonne volonté mon statut, mon handicap est un frein. Restez motivée !!! pas toujours évident lorsque rien ne va. Ma douleur, n'a pas sa place sur le marché du travail.

Vivre avec cette épée continuelle du "et si je ne pouvais plus?" ou "et si lui ne tenait pas ne pouvait plus accepter ce quotidien?" Se serait légitime car malgré tout l'amour du monde qu'il a pour moi je sais qu'être aux cotés de quelqu'un de malade n'est pas forcement aisé. Il a ses projets ses ambitions, qui sont magnifiques et je ne pourrais jamais supporter être un frein à sa vie. Il m'est interdit de limiter celui que j'aime. Ma tète le suivrait au bout du monde mais mon corps, ce fichu corps, ma prison.

J'observe les gens autour de moi, je les regarde vivre évoluer, bouger, sans qu'ils ne réalisent une seule seconde la chance qu'ils ont de pouvoir vivre librement.

Juste quelques instants je voudrais m'allonger au calme entourée de chaleur de lumière douce, écouter chanter la nature, ne rien ressentir, juste quelques instants.
 M'évader de mon corps, délier mes chaînes, juste un instant.